La Brigade chimérique, ultime renaissance : les archives de l’hypermonde

Publié: 24 janvier 2022 dans BD, comics, manga
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La Brigade chimérique, ultime renaissance est une œuvre graphique du scénariste Serge Lehman et du dessinateur Stéphane De Caneva. Cette bande dessinée est publiée chez Delcourt en 2022 et fait suite à une première série sortie en 2009 et 2010 chez l’Atalante. Si la série originelle se déroulait aux confins des deux guerres mondiales, Ultime Renaissance a pour cadre notre monde contemporain et ses peurs primales, le tout accompagnant une renaissance des super-héros européens complétée d’un hommage à la littérature fantastique et aux comics américains.

Quelle est l’histoire ?

Un rat humanoïde attaque les voyageurs d’une rame de métro parisien, la capitale est terrorisée. Marginalisé à l’Université pour ses recherches sur l’Hypermonde, le professeur Charles Deszniak dit « Dex » déménage peu à peu ses archives de son bureau, sentant la fin prochaine du financement de ses recherches et de son laboratoire d’archéologie culturelle.

Alors que la ville est à feu et à sang, Dex est abordé par Nelly Malherbe, employée de la Préfecture, qui lui demande son aide afin de rassembler des surhommes pour lutter contre le Roi des Rats et sa clique. Tous deux partent alors en quête des anciens super-héros européens oubliés. Ils formeront donc une équipe avec Rigg, l’homme-truqué et Félifax, une femme-tigre féministe, végane et bisexuelle auxquels viendront s’adjoindre d’autres personnages tout aussi fantastiques.

Et les archives dans tout ça ??

Brigade Chimérique : ultime renaissance est un véritable hommage aux archives dont Serge Lehman connaît parfaitement les problématiques. Dans une vignette, il insiste d’ailleurs sur « le rôle des archives dans cette histoire », soulignant donc encore un peu plus l’importance de ce sujet.

Serge Lehman montre les questionnements concernant les archives de la recherche : l’université prive Dex de son local, ce dernier entrepose donc une partie.de ses documents chez lui, au grand dam de sa femme qui se voit envahie par des cartons. On pourrait se poser la question du statut de ces archives qui sont en théorie publiques puisque l’enseignant-chercheur les produit en tant que fonctionnaire. Ceci montre par ailleurs la déshérence des archives des universitaires qui sont peu archivées dans les services publics et disparaissent parfois faute de moyens et d’attention. Les archives de Dex et de son assistant sont foisonnantes et sont à même d’expliquer des phénomènes devenus obscurs. La mémoire humaine a occulté un grand nombre de faits et de personnages dont seules les archives – notamment des récits devenus fictionnels – ont conservé la trace. Questionner les archives comme des possibles advenus mais tombés dans l’oubli est le travail de Dex. On peut le rapprocher de recherches d’universitaires bien réels comme Jérémie Foa qui, dans Tous ceux qui tombent, ressuscite un passé largement occulté et pourtant bien présent dans les archives.

Cet ouvrage évoque aussi la brûlante et délicate question de l’accès aux archives du pouvoir lorsque Dex rencontre Nelly et le sous-préfet qui, ayant besoin de ses services, lui proposent de lui donner accès aux documents dont on lui refuse la communication depuis cinq ans. Une communicabilité à géométrie variable, en fonction des nécessités définies par le pouvoir ? Est-on si loin des débats actuels ? Pour faire progresser ses recherches, Dex doit inévitablement confronter les archives officielles et les siennes. C’est d’ailleurs dans les dossiers préfectoraux que les protagonistes trouvent une partie des réponses à leur questionnement. Plus loin dans le récit, ce sont les archives du Ministère de la Défense qui offrent quelques solutions aux interrogations du groupe. On est un peu interloqués de voir les dossiers préfectoraux et militaires se promener dans les mains de Nelly mais nous supposerons qu’il s’agit de copies.

Une autre manière de démontrer l’importance capitale des archives : la rencontre avec le thésard de Dex qui a pu localiser un artefact grâce à des documents trouvés presque par hasard, une situation que les chercheurs se donnant la peine de compulser les archives connaissent bien.

Serge Lehman montre également combien la redécouverte des archives dites « de Moscou » ont permis de faire avancer les travaux des historiens sur la période contemporaine. Il n’oublie pas de mentionner le trafic dont ces documents ont pu faire l’objet, à l’encontre de toutes les lois archivistiques. Les archives sont les « souvenirs d’un monde perdu », une jolie définition. Avec l’activité de Dex, Serge Lehman montre que ce monde perdu peut refaire surface, si tant est qu’on trouve des documents et qu’on puisse les faire parler. La vérité se cache parfois dans les archives fictionnelles qui exhalent des pans de récits oubliés, des histoires alternatives.

Enfin, les archives permettent aussi à certains personnages, comme Nelly Malherbe, de connaître leur histoire familiale et de comprendre ainsi la situation présente et leur héritage.

Présentes presque à chaque page des Brigades Chimériques, Ultime Renaissance, les archives en sont le véritable fil rouge. Qu’il s’agisse des archives de la recherche, des archives du pouvoir ou d’archives personnelles, elles irriguent le récit. L’auteur montre aussi l’intérêt des documents de fiction pour appréhender le monde, terminant de manière extrêmement poétique cet hymne aux archives : « pour nous trouver, c’est facile, il suffit de vous souvenir » dit un des personnages tandis que l’ouvrage se referme sur un groupe de jeunes un livre à la main.

Sonia Dollinger

commentaires
  1. […] La Brigade chimérique, ultime renaissance | Archives et Culture Pop' dans Tous ceux qui tombent : les archives, entre victimes et bourreaux […]

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