Madlands : un monde archivé ?

Publié: 9 Mai 2024 dans Littérature
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Madlands est un roman de science-fiction de Kevin Wayne Jeter, auteur de SF et de récits horrifiques originaire de Los Angeles, un des pères du steampunk. Madlands est un récit post apocalyptique paru en 1991 aux Etats-Unis puis en 1992 en France aux éditions J’ai Lu.

Quelle est l’histoire ?

Los Angeles n’est plus tout à fait la cité des Anges. Dans cet univers alternatif, les habitants sont victimes du métacancer qui fait muter vos gènes en quelques heures ou en quelques jours et vous conduisent à une mort atroce. Pourtant, les gens continuent à venir s’agglutiner à Los Angeles, attirés par le charisme d’un télévangéliste, Identrope, qui promet l’immortalité. Le royaume d’Identrope est un dirigeable planant au dessus des restes de Los Angeles et tissant sa toile où il répand un bonheur artificiel, peuplant les songes de ses adeptes câblés dans sa toile. Parmi les individus qui servent Identrope, on retrouve Trayne qui, pour échapper au métacancer change de corps régulièrement et envisage sérieusement de tuer l’évangéliste pour rendre le monde meilleur.

Et les archives dans tout ça ??

On ne sait pas réellement comment Los Angeles a été reconstruite dans cet univers étrange. Toutefois, il semble que cette reconstitution a été réalisée à partir d’images d’archives, ce qui en fait un monde très artificiel et assez désuet : « encore une image d’archives comme l’Hudson, la T.Bird (…), les rues, les autoroutes mortes, la ville elle-même« . De manière très surprenante, tous les personnages vivent ainsi dans un décor constitué d’images d’archives, tout est authentique mais on croise par exemple le dirigeable Hindenburg, détruit en 1937 à côté d’une voiture des années 1950. Les archives ont donc été utilisées sans remise en contexte ce qui offre un monde incohérent à nos yeux respectueux de la chronologie.

Le Los Angeles de Jeter emprunte son monde à de nombreuses sources : « une des couches du Los Angeles issu des archives regorgeait de cultures étrangères. » Jeter écrit le mot « couches » comme un archéologue écrirait « strates ». Cette ville imaginaire est un réinterprétation issue de documents d’archives épars qui ont été agencés sans hiérarchie et, semble-t-il, sans logique. On n’aura d’ailleurs jamais l’explication du choix qui a présidé à l’exhumation de tel ou tel objet ou atmosphère des archives, cet assemblement ne paraît pas obéir aux lois de la logique.

Le personnage principal, Trayne, se plaint d’ailleurs de vivre en plein cliché : « Et ces deux filles au visage d’un vert maladif sous le néon. (il en est vraiment trop remonté des archives. Ces rubans de lumière grésillant témoignent d’un cruel manque d’imagination et d’une documentation erronée et recréent le clinquant des plateaux de cinéma, pas la vraie ville). » Cette citation laisse à penser que Trayne a vécu dans un univers pré apocalyptique et sait donc ce qui relève du factice tiré des archives et du réel, il est l’un des rares à exercer son sens critique. Cet exemple est intéressant : si l’on devait recréer un monde à partir des archives, que ressortirait-il exactement ? Sans doute cela dépendrait-il des interprétations et de l’imaginaire de chacune et chacun d’entre nous : d’aucuns inventeraient un monde lisse et parfait tandis que d’autres inventeraient un univers sombre et dangereux. Tout cela varierait selon les sources utilisées et leur lecture.

Dans cette ville, les archives sont surexploitées et pourtant : « la guerre et ses motifs sont tombés dans l’oubli. La brume du souvenir. L’amnésie. » Dans le récit de Jeter, la plupart du temps, les archives ne servent pas à expliquer la situation dans laquelle on se trouve, à conserver la mémoire mais elles permettent de reconstituer des décors, elles servent d’ornements. Toutefois, à une occasion, les archives permettent de connaître l’histoire d’une des entreprises phare de ce Los Angeles alternatif. Plus intéressant encore, un passage sur le Ku Klux Klan montre l’importance vitale des archives dans la recherche de la vérité : « Bon nombre d’historiens locaux auraient voulu cacher cette histoire peu glorieuse (…) mais la preuve du contraire subsistait dans les archives (…)« . La volonté de masquer une partie de l’Histoire est universelle mais les archives, lorsqu’elles sont conservées et accessibles, aident à rétablir un récit plus juste.

Pour ses chorégraphies – car il est danseur – Trayne va puiser dans les archives, il ne crée rien de nouveau, elles servent donc d’inspiration et semblent brider la création contemporaine. Le personnage indique qu’il a « passé beaucoup de temps à fouiner dans les archives. » Elles paraissent donc accessibles sans trop de difficulté mais on n’en saura pas davantage sur les conditions de consultation. Toutes sortes de choses émergent des archives : des vieux téléphones, les décors d’Hollywood, des prostituées cubaines, le monde d’Identrope est un univers de clichés né de la volonté du télévangéliste Identrope : « ces rêves surgis de mémoires muettes. »

Utilisées pour créer un monde fantasmé ou pour connaître une vérité parfois bien cachée, les archives sont indispensables dans l’univers créé par Jeter. Sans les archives, impossible de reconstituer une ville, aussi anachronique soit-elle puisqu’après la guerre, tout semble avoir été éradiqué. Puiser dans les archives est une solution pour redéfinir un nouveau présent.

Sonia Dollinger-Désert

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