L’Empreinte est un ouvrage publié en 2017 aux Etats-Unis. Il est l’œuvre d’Alexandria Marzano-Lesnevich, une autrice américaine vivant à Portland et enseignant la littérature dans l’état du Maine au Bowdoin College. Il s’agit du premier livre de cette autrice qui reçoit plusieurs prix, notamment, en France, le prix du livre étranger JDD / France Inter et le grand prix des lectrices de Elle en 2019. L’ouvrage bénéficie d’une édition en format 10/18 depuis 2020. Savant mélange de thriller psychologique et d’autobiographie, le livre est une œuvre très personnelle qui questionne sur des thèmes fondamentaux comme la peine de mort, la pédophilie, l’inceste familial.
Quelle est l’histoire ?
Etudiante en droit à Harvard, Alex est une farouche opposante à la peine de mort. Sa rencontre avec le tueur Ricky Langley, emprisonné en Louisiane après le meurtre d’un petit garçon va bouleverser totalement sa vision des choses et la pousser à questionner l’histoire de ce personnage mais aussi sa propre vie et les secrets enfouis en elle qui ne demandent qu’à affleurer. Alex aura désormais pour but d’enquêter sur les raisons profondes qui ont conduit Ricky Langley à devenir ce monstrueux criminel. EN parallèle, elle nous dévoile sa propre histoire tourmentée.
Et les archives dans tout ça ??
L’ouvrage s’ouvre sur un avant-propos intitulé « Note sur les sources » dans lequel, Alex Marzano-Lesnevich indique les documents qui lui ont servi à rédiger son récit, en particulier les archives des tribunaux dont erouve d’ailleurs une rubrique « Sources consultées » qui donne précisément le détail des documents compulsés. L’autrice indique bien qu’elle s’appuie sur des archives pour son récit tout en précisant qu’elle a pu faire appel à son imagination pour quelques détails, jouant, comme elle l’écrit avec poésie « au téléphone arabe avec le passé« . Au cours du récit, elle montre l’archive en train de se faire lorsqu’elle décrit la sténographe qui prend des notes pendant le procès de Langley : « une fois retranscrites, ses notes deviendront un document (…) » et donc des archives.
Il s’agit pour Alexandria Marzano-Lesnevich de retracer l’histoire d’un meurtrier et de son acte le plus ignoble. Ainsi, elle s’appuie sur toutes les sources accessibles en commençant par des enregistrements des appels à la caserne des pompiers signalant la disparition d’un enfant. Grâce aux archives, l’autrice confronte les versions, recoupe les témoignages afin de démontrer combien les versions données par le meurtrier évoluent au cours des années d’instruction de ses procès : « quelle version sera inscrite dans le dossier pour devenir un fait ? » s’interroge l’autrice avec pertinence tant on sait que les archives ne sont pas la fidèle photographie de la réalité mais la version qu’une administration, un témoin, un individu en aura conservée et qu’on sait également que dix témoins peuvent donner dix versions d’un fait et donc produire dix documents d’archives totalement différents sur un même événement. D’autres faits ne sont jamais mentionnés : « Une foule d’éléments est bannie et disparaît quasiment sans laisser de traces, reléguée dans des cartons poussiéreux conservés dans des salles d’archives, loin des regards. » Voilà de beaux clichés qui combinent l’inévitable poussière et les archives oubliées de tous. Au vu du nombre de personnes qui parlent d’archives endormies, elles m’ont pourtant l’air d’être bien réveillées ! Les échanges avec le personnel sont cordiaux et les archivistes sont soigneux avec leur lectrice en lui signalant la découverte de nouveaux cartons concernant ses recherches.
Elle parcourt avec horreur les dossiers conservés aux archives du tribunal et pense à Jérémy, la petite victime de Langley : « quelque part, dans les archives du tribunal, il y a les photos de son corps. Il fut un temps où il ne fut pas seulement un nom dans les dossiers, une photo d’école diffusée au journal du soir, un récit édifiant. Il fut un temps où il était un petit garçon. » Elle décrit également le tee-shirt porté par le petit qui « jaunit dans une salle de la division des archives où sont gardées les pièces à conviction« , un petit morceau de vie transformé en archives pour l’éternité. En tant qu’archiviste, je pense souvent à cette notion lorsque je trie des dossiers et voit des noms apparaître : tous ces noms couchés sur le papier étaient auparavant des êtres remplis de vie et, si les archives sont parfois terribles, elles sont le miroir des êtres disparus.
Minutieusement, Alex Marzano-Lesnevich décrit sa venue aux archives du tribunal : « on m’a dit que quinze cartons d’archives m’attendaient. Mais je suis tout de même déconcertée lorsque l’employé apparaît, poussant un chariot chargé de cartons de dossiers. Chaque carton fait à peu près 90 centimètres de long par 60 de large et de haut. Je soulève le couvercle du carton marqué n°1. Une rangée de classeurs pleins à craquer contenant chacun peut-être trois cents pages Je calcule rapidement, mon coeur fait un bond dans ma poitrine, de découragement et d’espoir à la fois. Quinze cartons, peut-être vingt-cinq mille pages. Il y a tant de choses ici (…)« . L’autrice illustre bien la solitude du chercheur face à cette montagne documentaire qui l’attend. D’autres auraient pu dépeindre leur désarroi devant des dossiers maigres et indigents, ici, c’est l’inverse, des archives pléthoriques, nécessitant des jours et des jours de travail, une lente plongée dans le cœur du crime et du criminel. Cette surprise face à ce volume important montre combien les archives restent abstraites tant qu’on ne les manipule pas : « j’avais compris bien sûr, ce qu’on m’avait dit au téléphone. Quinze cartons, mais je n’avais pas compris du tout. » Ce passage fait remonter en chaque archiviste ses souvenirs de salle de lecture, avec des lecteurs débutants et enthousiastes qui commandent des dizaines de cotes et paniquent à l’arrivée des documents. Alex Marzano-Lesnevich n’échappe pas tout à fait aux clichés lorsqu’elle décrit son passage dans « les archives caverneuses. » Par ailleurs, toutes les archives ne sont pas accessibles, certaines étant mises sous scellés et nécessitant une ordonnance du tribunal pour pouvoir être consultées.
A côté des archives publiques de toute nature traitant du crime de Langley, Alex s’intéresse également aux documents émanant de sa propre famille afin de remonter le fil de son histoire. Elle décrit un classeur métallique dans lequel sa mère glisse toutes les archives personnelles que sont les dossiers médicaux, les bulletins de note, certificats de naissance et photographies. Ces documents, ces archives privées communes à de nombreuses familles sont celles que chacune et chacun d’entre nous est susceptible de conserver, y compris sans y prêter grande attention, jusqu’à ce qu’une interrogation, une curiosité ou une nostalgie nous y pousse. Elles n’ont souvent de valeur que pour celles et ceux qu’elles concernent mais elles sont des parcelles de nos histoires individuelles ou collectives. D’ailleurs, Alex met en parallèle ses archives et celles de Ricky Langley, composées, elles aussi de photos jaunies et de documents épars. La découverte de certaines archives la touchent particulièrement : « je trouve des lettres d’amour de mes parents, et des lettres de dispute, qui viennent me rappeler que nous sommes tous des énigmes les uns pour les autres. » C’est donc parfois grâce aux archives qu’on peut lever le voile sur les énigmes que sont les personnes qui ont vécu. Vers la fin de l’ouvrage, l’autrice évoque son goût pour la généalogie qui rejoint celui de l’assassin qui a « passé des années à rassembler des archives sur ses ancêtres ». Elle trouve cette information…dans un carton d’archives, la boucle est bouclée !
Sonia Dollinger-Désert