Le Père, un règlement de comptes est un ouvrage témoignage écrit par Niklas Frank, publié en France aux éditions Plein Jour en 2021 et préfacé par Philippe Sands. Dans ce livre, Niklas Frank évoque la terrible figure de son père, Hans, gouverneur de Pologne nommé par Adolf Hitler.
Quelle est l’histoire ?
Niklas Frank, enfant pendant la Seconde Guerre mondiale, oeuvre sa vie durant à retracer le terrifiant et pathétique parcours de son père, Hans qui fut ministre du IIIe Reich puis gouverneur général de Pologne durant la Seconde Guerre mondiale. Hans Frank fut pendu à l’issue du procès de Nuremberg en 1946. L’auteur livre un récit très personnel, d’une grande violence envers son père auquel il ne peut pardonner l’atrocité de ses crimes et de ses engagements. Il évoque également la figure de sa mère, ambigue et cupide et de leur entourage sur fond de génocide et de crimes. Il s’agit d’un témoignage brutal et direct d’un enfant de nazi, lucide sur son lourd passé familial.
Et les archives dans tout ça ??
Le moteur de la vie de Niklas Frank est la recherche de la vérité, il souhaite reconstituer le plus fidèlement possible le parcours et les discours de son père pour en dresser le portrait le plus juste, quelle qu’en soit les conséquences. Il n’est pas question pour l’auteur d’occulter le moindre fait et de dédouaner son père, bien au contraire. Pour ce faire, il ne se fie pas à la mémoire familiale mais aux archives : « j’ai de la chance, je peux rassembler les lambeaux de chair de ta vie grâce aux archives d’Europe et des Etats-Unis, je peux les examiner sans être entravé par des mensonges familiaux. Que je les travaille au scalpel ou au marteau, il en sort un monstre typiquement allemand. » Loin de se cacher et de fuir son héritage, Niklas Frank plonge au coeur des archives, part à leur quête et les explore sans relâche. Même les documents sont, pour lui, salis par les actes de son père : « je pioche dans le tas de boue que ta vie m’a légué en documents, lettres, photos, témoignages, moi toujours à la recherche de tes lâchetés. » Contrairement à d’autres qui pourraient avoir une grande appréhension à plonger dans des archives qui révéleraient des secrets de famille ou casseraient l’image d’une famille idéale, Niklas cherche toujours davantage de documents sans avoir peur ou sans faillir. Il est sans doute difficile de ne pas être le fils d’un héros et les archives révèlent parfois des informations qu’on aurait préféré ne pas connaître, c’est le lot de la quête archivistique et historique. Ici, le narrateur prend le problème à bras le corps, sans détourner le regard. Il indique souvent avoir « déniché » des informations – y compris d’ordre intime – dans les archives, preuve de cette quête de longue haleine.
Mais, évidemment, certaines archives sont manquantes : quand le Reich tombe, quand Hans Frank sent le vent tourner à la fin de la guerre, il parle de « brûler des dossiers », espérant ainsi effacer ses crimes ou du moins les minimiser. C’est sans compter les tonnes de documents qui ont été produits à l’échelle du Reich. Illusion de croire qu’une destruction d’archives peut effacer des années de terreur, l’expérience prouve que des documents parviennent toujours à survivre et à faire émerger ce qu’on aurait voulu cacher, dans leur affolement, les destructeurs sont peu méticuleux. Malgré « les documents brûlés dans la cour du château de Cracovie », après avoir trié les dossiers et emporté ceux dont ils pensaient qu’ils pourraient le dédouaner de ses fautes, Hans Frank n’échappe pas à la peine capitale. L’auteur évoque aussi les tentatives grotesques de son père de falsifier des documents pour lui donner un rôle positif. Hans Frank a également remis à ses juges ses journaux – 42 volumes – de son gouvernement général contenant des « procès-verbaux de tous tes discours, de tes voyages, réceptions, réunions de gouvernement, entretiens », ce qui le desservit fortement tant ils démontraient la violence du gouvernement de Frank envers les Polonais et les Juifs. On peut se demander pourquoi détruire des documents mais conserver ces journaux compromettants, l’être humain reste un mystère…
Loin de repousser la connaissance de sa famille et en particulier de son père, Niklas Frank se confronte aux archives, un exercice douloureux qui s’avère parfois nécessaire pour se (re)construire.
Sonia Dollinger-Désert