L’homme inquiet : le commissaire en quête d’archives

Publié: 20 Mai 2024 dans Littérature
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L’homme inquiet est un roman policier de l’auteur suédois Henning Mankell mettant en scène l’inspecteur Wallander et sa fille Linda devenue, elle-même inspectrice de police. Il s’agit de la dernière apparition du commissaire. Le titre sort en Suède en 2009 puis, en France, en 2010 aux éditions du Seuil avec une traduction d’Anna Gibson. L’homme inquiet est adapté dans le cadre de la série télévisée Les enquêtes de l’inspecteur Wallander.

Quelle est l’histoire ?

Depuis quelques temps, le commissaire Wallander est fatigué et subit des pertes de mémoire. Il oublie son arme de service dans un bar et n’en conserve pas le moindre souvenir. Il tente de profiter de la maison à la campagne qu’il vient d’acheter et de son chien tout en continuant son travail. Le beau-père de sa fille Linda le convie à sa fête d’anniversaire et lui confie ses souvenirs de marin. Il évoque notamment la présence de sous-marins russes dans les eaux suédoises pendant la guerre froide. L’homme semble mal à l’aise voire apeuré et disparaît ainsi que sa femme quelques jours plus tard. Voilà de quoi intriguer le commissaire Wallander qui part aussitôt sur les traces des disparus, ce qui le conduira dans les arcanes politiques des années 1960 et 1970 et lui fera croiser la route d’étranges individus.

Et les archives dans tout ça ??

Comme tout enquêteur digne de ce nom, Kurt Wallander examine les lieux de la disparition du couple : leur domicile. Si la demeure contient une bibliothèque très fournie, elle recèle aussi une « armoire à documents » dont les tiroirs sont peuplés de documents fort bien classés : « classeurs, chemises, lettres, rapports, un certain nombre de documents de bord de caractère privé et des croquis de sous-marins (…) », des archives qui représentent l’activité de leur propriétaire, des documents dont le caractère privé se mêle à l’histoire du pays et de la marine en particulier. Un seul tiroir est en désordre absolu, ce qui tranche violemment avec l’ensemble. Au sommet de l’armoire, bien caché, Wallander découvre un rapport sur la situation politique au Cambodge provenant du ministère de la Défense des Etats-Unis : que fait donc un document public, voire confidentiel, chez un particulier, qui plus est suédois et non américain ? Le fait de ramener des documents secret-défense à la maison n’est pas forcément non plus une excellente idée.

Cet exemple illustre une nouvelle fois le mélange qui s’opère entre archives privées et archives publiques lorsqu’un individu travaille pour un Etat en tant que fonctionnaire ou en tant qu’élu : combien sont tentés d’emporter avec eux leurs documents de travail, privant ainsi la collectivité d’archives pourtant publiques ? La sensibilisation des producteurs au versement de leurs archives a encore de beaux jours devant elle, qu’il s’agisse des élus, des enseignants-chercheurs ou autres fonctionnaires.

La manière dont un individu range ses documents en dit également beaucoup sur lui et, ici, Wallander est alerté, il pense que quelqu’un a fait le ménage dans les archives des disparus. Des documents auraient-ils été subtilisés ? La disparition d’archives est toujours un drame car, comme l’écrit Henning Mankell, elles sont « l’écume de l’existence », sans archives, pas de mémoire, pas d’histoire, pas de vie. On apprend plus loin que Hakan, l’homme qui a disparu, passait beaucoup de temps à fouiller dans les archives à la recherche d’informations sur la présence de sous-marins russes dans les mers suédoises : sa quête l’a-t-elle mené dans des eaux troubles, l’a-t-elle mis en danger ? La lecture d’archives n’est pas neutre et peut se révéler explosive voire dangereuse. Les archives de Wallander sont d’ailleurs visitées par des inconnus qui semblent vouloir savoir ce qu’il sait.

Les fonds d’archives privées, rassemblés par des passionnés ou des spécialistes d’un sujet en particulier sont parfois de véritables trésors et permettent de combler les lacunes des archives publiques. Encore faut-il qu’elles soient conservées après la mort du collectionneur et accessibles, ce qui est loin d’être évident. Que dire de ces personnalités qui amassent des documents sur un sujet donné, mobilisant leur énergie et leurs finances dans cet unique but mais qui se gardent bien de prévoir le devenir de ces archives, les laissant à la merci de la dispersion ou de la destruction ? Ici, le commissaire Wallander va pouvoir accéder au fonds d’un certain Solve Hagberg, passionné par l’histoire de la marine. Il a accumulé des archives pour ses conférences et ouvrages et sa veuve conserve ce fonds et en donne accès avec parcimonie. C’est la découverte d’une photographie dans ce fonds exceptionnel qui permet à Wallander de toucher du doigt ce qui s’est réellement passé.

La recherche est parfois longue et la découverte le fruit de longues heures de dépouillement de documents et parfois d’un peu de hasard, encore faut-il que les archives subsistent.

Sonia Dollinger-Désert

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