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Le Général dans son labyrinthe est un ouvrage du prix nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez paru en 1989. Il existe une édition de poche parue chez Grasset. Ce récit évoque les dernières semaines de Simon Bolivar, le « Libertador » de l’Amérique du Sud et le premier président de la Colombie.

Quelle est l’histoire ?

L’histoire s’ouvre en 1830, alors que Simon Bolivar et sa suite quittent Santa Fé de Bogota pour rejoindre Carthagène des Indes dans la perspective d’un départ pour l’Europe. Autrefois adulé, Bolivar est désormais presque un proscrit, il a démissionné de la présidence colombienne et contemple les déchirements de ses détracteurs et de ses partisans. Au fur et à mesure de l’avancée du voyage, Bolivar semble se détacher petit à petit de sa gloire passée et de son existence, la fièvre et la maladie affectant son corps chétif. Sa suite disparate, composée de fidèles, contemple cette décrépitude.

Et les archives dans tout ça ??

La question des archives se pose à plusieurs reprises, dès les premiers chapitres dans lesquels on apprend que Simon Bolivar a confié « deux coffres contenant ses archives personnelles » à Manuela Saenz, sa compagne. On ne peut s’empêcher de se poser la question de la nature réelle de ces archives d’un dirigeant qui quitte le pouvoir et emporte avec lui des documents qu’il considère comme étant les siens alors qu’ils appartiennent sans doute à l’histoire des états qu’il a contribués à créer. Il va sans dire que les archives sont, pour Bolivar, précieuses puisqu’il fait de Manuela « la gardienne de ses archives, pour l’avoir auprès de lui », ce qui signifie qu’il leur confère assez d’importance pour ne pas s’en séparer. Le caractère public des archives détenues par Manuela apparaît au moment où il est indiqué que « le ministère de l’Intérieur lui avait demandé de remettre les archives confiées à sa garde ». Cette dernière refuse catégoriquement, montrant ainsi que la confusion entre archives privées et publiques n’est pas réservée aux dirigeants contemporains.

Il semble toutefois que Bolivar n’ait pas confié toutes ces archives à Manuela puisque, dans son dernier périple, il promène avec lui « dix malles de documents privés ». Cette itinérance archivistique a de quoi effrayer quand on se rappelle des pertes incommensurables qu’ont connues d’autres sources trimballée à travers les champs de bataille (rappelez vous de Philippe Auguste). D’ailleurs, quelques temps plus tard, l’auteur évoque des « montagnes de documents errants qui proliféraient sur son passage et le poursuivaient sans miséricorde, cherchant la paix des archives. » Ces montagnes fragiles sont parfois abandonnées par Bolivar : « sa vie de guerrier l’obligea à laisser derrière lui un sillon de plus de quatre cents lieues de livres et de papiers. » Quelles archives a-t-il jugées assez précieuses pour les emmener avec lui ? Pourquoi abandonner les autres, on ne le saura pas mais le coeur se serre devant cette potentielle perte archivistique. Bolivar prévoit d’ailleurs d’envoyer ses dix malles à Paris et d’en faire brûler le contenu s’il ne parvient pas à s’y rendre… terrible perspective. Bolivar réitère plus loin, lorsqu’il sent ses forces décliner et qu’il demande à ce que soient brûlés les documents restés à Carthagène. Seuls les documents confiés par Manuel à un des fidèles de Bolivar subsisteront. A la mort de Manuel, sa correspondance privée avec Bolivar est détruite dans l’incendie de sa demeure par la police sanitaire après une épidémie de peste.

Parmi ses proches, certains tiennent un journal ou rédigent des mémoires pour conserver trace des événements et des interactions avec Simon Bolivar. Ce dernier indique d’ailleurs à propos d’un de ses soldats : « il prend note de tout (…) et rien n’est plus dangereux que la mémoire écrite. » Dangereuses archives qui gardent trace de ce qu’on préférerait parfois garder sous silence. Bolivar insiste d’ailleurs pour que ses écrits et notamment ses lettres ne soient jamais publiées : des milliers de lettres surgiront de l’oubli, tout comme celles de son adversaire Santander qui, au contraire de Bolivar ordonne sa correspondance : « au contenu si parfait que l’on voyait dès la première ligne que l’histoire était leur destinataire ultime. » Deux visions différentes du monde s’affrontent, celle du présent et celle qui pense à laisse trace de son passage.

Confusion entre archives personnelles et archives du pouvoir, confrontation entre une volonté de faire table rase du passé et un souhait d’en garder trace, Le Général dans son labyrinthe est un bon exemple de la complexité des visions des hommes de pouvoir par rapport aux archives.

Sonia Dollinger-Désert