S’il est bien une saga qui met en valeur les archives et les archivistes, c’est bien Star Wars. Que ce soit au cinéma avec l’Attaque des Clones ou Rogue One ou dans les adaptations en comics comme Clone Wars et Docteur Aphra, les archives font partie intégrante du récit. Mais, si on peut souvent voir les documents, on aperçoit plus rarement les archivistes comme Jocasta Nu présentée comme un personnage particulièrement revêche dans son apparition cinématographique.
Pourtant, c’est un tout autre visage que Jocasta Nu présente dans le titre que nous allons présenter ici. Dark Vador, le seigneur noir des Sith est un titre scénarisé par Charles Soule et illustré par Giuseppe Camuncoli. C’est le deuxième tome intitulé Les Ténèbres étouffent la lumière qui nous intéresse ici. Le titre est publié en 2018 chez Panini Comics.
L’histoire se déroule juste après les événements du film La revanche des Sith. Anakin Skywalker est devenu Dark Vador mais il n’a pas encore acquis sa légitimité auprès des soldats de l’Empire. Peu à peu, l’Empereur Palpatine lui confie des missions et l’encadrement des troupes ce qui ne se fait pas sans douleur. Dark Vador doit désormais encadrer les Inquisiteurs, d’anciens Jedi qui traquent désormais les Jedi survivants. Lorsque Vador découvre la liste des individus recherchés, un des noms placés en tête de liste l’intrigue : pourquoi la traque d’une archiviste semble-t-elle être si importante pour l’Empereur ?
Et les archives dans tout ça ??
Attention, cette partie risque de vous révéler quelques éléments clefs de l’histoire.
Dans Les Ténèbres étouffent la lumière, les archives et l’archiviste sont vraiment au cœur du récit. La mission de Dark Vador est de trouver Jocasta Nu, l’ancienne directrice des Archives Jedi. Le seigneur noir des Sith ne semble pas comprendre pourquoi l’Empereur la place en tête de sa liste noire, elle qui n’est pas une guerrière de premier plan. Lorsqu’il questionne son supérieur, Palpatine répond à Vador qu’il traque Jocasta Nu « parce qu’elle sait tout » et qu’elle s’est emparée, au nom de l’Ordre Jedi des secrets du côté lumineux de la Force mais également des secrets appartenant aux Sith.
On voit donc que l’archiviste est considérée comme une gardienne mais également comme quelqu’un qui détient le savoir, y compris un savoir que certains estiment ne pas devoir lui appartenir. Cela pose la question de la légitimité du lieu de dépôt des archives : l’Ordre Jedi a-t-il le droit de s’arroger la conservation d’archives qui ne concernent pas les Jedi mais les deux aspects de la Force : l’Ombre et la Lumière. Qui décide du lieu de conservation ? Qui décide de leur communication ? Ce comic-book pose donc des questions de fond, tout à fait prégnantes en cette période de revendications de bien culturels tous azimuts.
Le rôle de l’archiviste Jedi a, en apparence, pris fin avec la chute de l’Ordre, massacré par Vador et l’armée des Clones. Pourtant, Jocasta Nu, terrée dans un endroit secret, utilise sa mémoire pour reconstituer les archives désormais sous bonne garde de l’Empire. Aidée d’un assistant, elle grave des holocrons qui contiennent l’essentiel de son savoir, permettant ainsi à de futurs Jedi de pouvoir avoir accès aux archives malgré leur confiscation par le pouvoir en place. La connaissance est donc jugée essentielle, méritant qu’on se batte pour la transmettre, y compris à ceux à qui on en interdit l’accès pour des raisons politiques. L’archiviste joue ici le rôle de passeur, elle est seule à maîtriser le contenu des archives et seule à pouvoir les reconstituer. L’Empereur la traque également car elle dispose d’informations primordiales pour l’avenir, c’est pourquoi il veut absolument mettre la main sur l’archiviste.
La relation entre le Grand Inquisiteur et Jocasta Nu est aussi très intéressante. L’Inquisiteur se souvient avec amertume de son expérience de consultation aux archives car Jocasta Nu l’a toujours méprisé. Il raconte avec colère qu' »elle ne m’a jamais donné accès total aux archives et lorsqu’elle me permettait de lire un fichier ou deux, elle ne cessait de me surveiller« . Un peu plus loin, l’Inquisiteur précise : « Jocasta Nu estimait que l’éducation devait être réservée aux élites ». Vieux débat qui agite la communauté archivistique depuis des décennies : les archives doivent-elles être accessibles au plus grand nombre ou doit-on privilégier les lecteurs les plus érudits ? Même si les tenants de la première option ont sans doute gagné le terrain, il n’en reste pas moins qu’on a tous entendu des récits d’archivistes revêches ou hautains qui ne donnaient pas envie de franchir la porte d’un service d’Archives. Si Jocasta Nu est une archiviste consciencieuse dans sa mission de conservation, il semble que ses méthodes de communication sont plus obscures et ont conduit le Grand Inquisiteur à devenir aigri et haineux envers les archivistes. Pourtant, plus loin, Jocasta Nu donne la raison de son refus d’accès à certaines archives : « si je t’en ai refusé l’accès, c’est que je ne t’estimais pas prêt ! » Cette réflexion montre ainsi que les archives peuvent être accessibles à tous à la condition d’avoir les clefs de compréhension pour manier les informations qu’elles recèlent. Le fil est mince entre l’accès illimité sans filtre à tous types d’archives et l’interdiction trop stricte… exercice délicat s’il en est qui rappelle des débats autour des archives de Paris qui ont resurgi à l’annonce de la mort de Brigitte
Lainé.
Lorsqu’il pénètre d’ailleurs dans les archives Jedi, l’Inquisiteur indique avoir « attendu ma vie entière pour ça », c’est dire si l’accès aux archives lui tenait à cœur ! Il s’installe dès lors comme un pacha, seul au milieu des archives qu’il balance les unes après les autres dans un geste rageur. C’est d’ailleurs la vision de l’Inquisiteur brutalisant ses documents qui fait sortir Jocasta Nu de ses gonds et la fait repérer par Vador. Elle sait fort bien pourquoi celui-ci veut mettre la main sur elle : « vous voulez connaître mes secrets et ceux des archives. Après tout, elles sont trop vastes pour s’y retrouver sans aide ». Il est en effet étonnant que l’Empire ait fait main basse sur les Archives sans avoir aucun personnel capable de se repérer dans les rayonnages… Dans un dernier geste de désespoir, Jocasta Nu détruit les archives afin d’éviter que l’Empire ne mette la main sur leur contenu. Là encore cela soulève un point délicat : que faut-il faire des archives lorsqu’on sait qu’elles peuvent tomber entre les mains d’oppresseurs impitoyables ?

Une archiviste, des fois, c’est pas commode !
Ce récit, une véritable bataille au cœur des archives Jedi, permet de se questionner sur le rôle de l’archiviste, ses méthodes de conservation et de communication, son statut de passeur de mémoire. L’archiviste est celui qui donne accès aux archives. Le premier contact que le lecteur a avec les documents passe par sa médiation, il est donc primordial de ne pas le rebuter afin de ne générer de situations de frustration ou de rejet alors que les archives sont susceptibles d’intéresser chacun d’entre nous avec un accompagnement personnalisé.
L’archiviste Jedi ressemble à ses collègues humains, passionnée, exigeante et faillible. Que la Force soit avec nous !
Sonia Dollinger