Le silence des Maquis est un polar généalogique, œuvre co-écrite par Justine Berlière, archiviste et son père Jean-Marc Berlière, historien. L’ouvrage est publié aux éditions Denoël en 2021.
Quelle est l’histoire ?
Le récit s’ouvre sur la vision d’un Berlin dévasté par la guerre le 28 avril 1945. Georges Bénézet, un waffen SS français engagé dans la division Charlemagne fait connaissance avec un officier de la Luftwaffe qui porte exactement le même nom que lui. L’officier meurt sous les assauts soviétiques tandis que le Français récupère ses papiers et réussit à s’en sortir.
Des décennies plus tard, en 2014, Chloé, archiviste de métier, discute avec sa grand-mère, dont elle est très proche, du destin de son grand-oncle Georges qu’on pensait mort et qui réapparut au village un beau matin de 1954. Chloé, piquée par la curiosité, décide alors de retracer le parcours sinueux de cet oncle mystérieux. Une longue quête dans les archives va la conduire des Cévennes protestantes aux confins de l’URSS où elle découvrira que le destin des hommes ne sont pas forcément linéaires.
Et les archives dans tout ça ??
Justine Berlière étant archiviste et son père Jean-Marc un historien qui fréquente assidument les salles d’archives, il était impensable que notre métier ne soit pas évoqué dans l’ouvrage. Le personnage principal est Chloé dont on se doute qu’il s’agit de l’alter-ego de l’autrice. Chloé est archiviste aux Archives nationales et indique que sa vocation est ancienne puisqu’enfant déjà, elle « aimait lire les vieux papiers, regarder les photos de famille et imaginer des histoires ». J’ai cru reconnaître, en lisant ces mots, ma propre expérience qui m’a menée sur les mêmes chemins. Chloé – Justine – est passionnée par son métier et cela se sent tout au long du récit, elle a un rapport sensible aux documents et à leur utilité pour les gens qui recherchent « leur passé et leur famille ».
Cependant, c’est une chose de guider un usager dans les méandres des archives et de son histoire, c’en est une autre de s’attaquer aux recherches sur sa propre famille. On sait bien que chaque famille abrite des zones d’ombres où personne ne s’aventure et l’archiviste – ou l’historien – ne peut sans se trahir continuer à véhiculer des légendes, aussi difficile que soit la vérité. Chloé démarre donc par l’exploration des archives familiales conservées dans une malle dans laquelle on trouve les documents inhérents aux archives de ce type : correspondance, papiers officiels notamment.
De ce substrat familial, Chloé extrait les premières informations qui la conduisent à explorer de nombreux dépôts et types d’archives différents. C’est ainsi que notre archiviste se rend en salle de lecture aux Archives départementales du Gard où son collègue se montre s’une grande affabilité. Elle fait ensuite des recherches dans les archives de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, contacte des lointains parents et déchiffre un journal du XVIIe siècle.
Chaque grande partie est scandée par un bloc-notes qui ressemble à un journal de terrain qui fait le point sur l’avancée des recherches, les hypothèses avancées et les archives à consulter. On se rend bien compte de la diversité des sources mobilisées, de l’aire géographique qui s’élargit et des multiples possibilités qu’offre désormais la recherche en ligne : à nous les archives du monde !
Chloé nous apprend qu’une recherche portant sur la Seconde Guerre mondiale et sur un individu précis peut nous conduire sur d’autres continents et vers d’autres horizons. C’est ainsi que le lecteur croise le destin des Protestants cévenols que la Révocation de l’Edit de Nantes et les persécutions qui s’en sont suivies ont éparpillés aux quatre coins du globe. Ce sont donc les archives néerlandaises ou allemandes qui permettront de retrouver les ancêtres persécutés mais également les Archives départementales de l’Hérault, témoins impassibles du sort funeste des Réformés. Ce récit nous démontre de nouveau combien les archives sont le recueil des vies de celles et ceux qui nous ont précédé : les morts crient encore à travers ces documents parvenus jusqu’à nous qui sont les seules possibilités d’entendre encore l’écho lointain de la voix de nos ancêtres et de garder en mémoire les atrocités passées.
Les archives sont aussi le lieu où les légendes meurent : les recherches de Chloé la conduisent aux archives du CICR ou aux Archives Arolsen sans succès. La quête archivistique peut parfois se révéler longue et vaine. Elle est faite de chaos, de fausses pistes et de persévérance. Lorsque Chloé apprend par les archives allemandes des informations concernant l’oncle Georges, elle indique « Pour une fois, j’aurais préféré que ma recherche soit vaine. » Tous nos aïeux ne sont pas des héros et la recherche généalogique et historique nous offre parfois des réponses que nous ne souhaitons pas et, si l’archiviste ou l’historien peut accepter certaines vérités avec difficulté mais humilité, les membres de sa famille ne sont pas forcément prêts à recevoir des informations désagréables.
C’est ainsi que Chloé se retrouve dans l’Indre aux archives du Blanc, le dépôt central des archives de la justice militaire qu’elle décrit ainsi : « les archives se trouvent à l’extérieur de la ville, dans un bâtiment de type Algeco situé au centre d’un vaste camp militaire entouré de barbelés ». Chloé précise ensuite que le dépôt était peu fréquenté, ce qui n’est guère étonnant au regard de sa situation géographique et du caractère inhospitalier du lieu. C’est pourtant là et aux archives de la gendarmerie à Vincennes que notre archiviste a accès aux informations qui lui faisaient défaut jusqu’alors.
Toutefois, l’étude soigneuse des archives couplée avec une solide connaissance historique permet de souligner la complexité des parcours individuels. On retrouve ici la patte de Jean-Marc Berlière qui s’est fait une spécialité de pourfendre le manichéisme, les légendes dorées et les légendes noires auxquelles il préfère opposer la nuance tirée de la lecture minutieuse des archives. Ainsi, Georges n’est peut être pas seulement un salaud comme on aurait pu l’imaginer au début du récit et les héros ne sont pas forcément sans tache.
Le Silence des Maquis montre de manière didactique et sensible comment une simple recherche peut conduire à la résurrection de lignées entières dont l’histoire est parfois une succession de meurtrissures et de découvertes surprenantes. Aussi administratives soient-elles parfois, les archives reconstituent les parcours de celles et ceux qui nous ont précédés et dont le destin n’est pas aussi simple qu’on peut l’imaginer. La seule trace que nous conservons des échos du passé, ce sont encore et toujours les archives. Cet ouvrage écrit à quatre mains nous le démontre avec force et empathie.
Sonia Dollinger-Désert
Très bel article qui allie une grande finesse d’analyse et une profonde délicatesse.
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Merci infiniment, ça me touche beaucoup
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Toujours aussi improbable de faire découvrir des œuvres au travers de l’archivistique.
Toujours aussi passionnant à lire.
« Aussi administratives soient-elles parfois, les archives reconstituent les parcours de celles et ceux qui nous ont précédés et dont le destin n’est pas aussi simple qu’on peut l’imaginer. »
Bravo pour cette formule, magnifique.
Merci pour votre passion.
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Merci beaucoup pour vos encouragements et pour votre soutien qui me vont droit au coeur 🙂
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