La vérité sur l’affaire Harry Quebert ou le recours essentiel aux archives

Publié: 21 novembre 2018 dans Littérature
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La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert est le deuxième roman de l’écrivain suisse Joël Dicker. Paru en 2012 aux éditions de Fallois, cet ouvrage est remarqué partout dans le monde et reçoit de nombreux prix comme le Goncourt des Lycéens ou le grand prix du roman de l’Académie française. Fort de ce succès, le roman est adapté en série télévisée, réalisée par Jean-Jacques Annaud avec Patrick Dempsey dans le rôle d’Harry Quebert.

Marcus Goldman est un jeune écrivain dont le premier roman a fait de lui une célébrité. Il profite de sa nouvelle gloire en faisant la fête et en se pavanant au bras d’actrices célèbres. Mais, quand son éditeur lui rappelle que son contrat lui impose de sortir un nouveau livre au plus vite, Marcus Goldman panique. Son inspiration l’a totalement quitté, il souffre du syndrome de la page blanche. Une seule solution, retrouver celui qui lui a tout appris, son professeur, Harry Quebert. Mais, quand Marcus débarque à Aurora, paisible bourgade du New Hampshire, il ne sait pas qu’un drame vieux de plus de quarante ans va détruire la réputation d’Harry Quebert. Ce dernier se trouve, en effet, accusé du meurtre de Nola Kellergan, jeune fille de quinze ans disparue en 1975. Marcus Goldman, fidèle à son mentor et ami décide de mener sa propre enquête sur ce qu’il convient désormais d’appeler l’Affaire Harry Quebert !

Et les archives dans tout ça ??

Vérité_Harry_QuebertQui dit enquête dit forcément plongée dans les archives, c’est presque un topos de la littérature policière et, en cela, La Vérité sur Harry Quebert ne déroge pas à la règle. Dans ses premières recherches, Marcus Goldman est confronté à l’absence de conservation de certaines données depuis leur informatisation, notamment quand il se rend dans un motel pour avoir la trace d’une réservation datant de 1975 : « 1975 ? Vous êtes sérieux ? Depuis qu’on garde les registres sur informatique, on peut remonter à deux ans maximum. Je peux vous dire qui dormait là le 30 août 2006 si vous voulez. Enfin, techniquement parce que ce sont des informations que je n’ai pas le droit de vous révéler. » Notre écrivain enquêteur se heurte ici à deux problèmes : la conservation des données sur un temps long, problématique que connaissent bien les archivistes et les chercheurs puisqu’elle interroge sur la notion d’archives essentielles. Conserver ses registres de clients n’apparaît pas forcément utile. Un hôtelier n’a plus l’utilité de ces documents pour sa gestion courante et ne voit donc pas la nécessité de conserver ce type de données. Un historien objectera l’intérêt de ce type de source pour une étude d’histoire sociale, un généalogiste y trouvera éventuellement un intérêt. Bref, faut-il tout conserver sachant que de nombreux documents ont peu de chances d’être consultés un jour. Mais, a contrario, faut-il détruire une source potentielle sous le prétexte qu’elle n’attirera pas les hordes de chercheurs ? Deuxième question évoquée : la confidentialité des données : ici, l’hôtelier ne peut évidemment divulguer des informations qui touchent à la vie privée de ses clients, d’autant que Marcus Goldman n’agit pas dans le cadre d’une enquête de police officielle. Entre écrasement des données et protection de la vie privée, pas facile la vie d’enquêteur novice !

Pourtant, Marcus Goldman a accès au dossier de l’affaire de la disparition de Nola et peut lire les témoignages de 1975, voir des clichés de l’époque grâce à l’avocat de son ami Harry. Les archives des affaires criminelles, notamment des cold case sont évidemment primordiales lorsqu’une enquête se débloque et qu’une affaire est relancée. On peut donc aussi légitimement se poser la question de leur bonne conservation sur le long terme et sur les moyens que la société est prête à y mettre. Les archives policières permettent aussi d’attirer l’attention sur les comportements étranges d’individus qui ont eu maille à partir avec la justice et donc de recouper des pistes qui avaient échappé aux enquêteurs à une certaine époque. Réinterroger régulièrement ces sources avec un regard neuf peut avoir un réel intérêt, d’où l’utilité de les conserver.

Un autre grand classique des enquêtes est le recours au yearbook des lycées qui recensent les élèves d’une même classe. On les trouve dans « les archives de la bibliothèque » du lycée d’Aurora. Voilà une bonne manière de retrouver des témoins bien des années plus tard.

Joël Dicker évoque aussi l’utilisation des archives par les médias lorsque ces derniers veulent illustrer un reportage, des archives obtenues auprès des proches des personnes concernées ou des archives retrouvées dans différents reportages. On sait combien sont fréquentes les mentions d’archives dans les documentaires ou les sujets d’actualité qui ont besoin de se référer à des faits passés. Archiviste, un métier essentiel ? Au vu du nombre de fois où nous entendons le mot « archives » à la télévision ou à la radio, on ne devrait même pas en douter ! Pour donner de la crédibilité au livre de Marcus, son éditeur exige d’ailleurs des « photos d’archives ».

Le nombre de mentions d’archives, glissées ça et là au détour des pages de la Vérité sur l’Affaire Harry Quebert a largement de quoi nous interroger sur le rôle des archives dans notre société, un rôle discret mais pourtant incontournable. C’est vrai dans ce type d’affaire, c’est vrai dans tout type d’affaire.

Sonia Dollinger

commentaires
  1. Duna dit :

    [Beware, spoiler !]

    Peu surprise et mal-à-l’aise quant aux tenants et aboutissants de l’enquête, qui à mon sens s’inspirent de grands classiques aux thèmes actuellement très en vogue – tels que [i]Psychose[/i] d’A. Hitchcock, [i]Twin Peaks[/i] de D. Lynch, ou encore [i]Lolita[/i] de V. Nabokov -, j’ai en revanche beaucoup apprécié les introspections auxquelles se livre l’auteur et son double (voire son triple) littéraire, ainsi que le glissement de Marcus vers le statut d’enquêteur amateur. Cela rapelle que n’importe qui un tant soit peu épris de justice et méticuleux est capable de mettre certains faits au jour et de reconstituer un puzzle de pièces d’archives… Et puis, il est toujours bon qu’un livre bénéficiant à la fois des faveurs d’institutions de référence et du grand public, les mentionne même sans les nommer ainsi.

    Vous m’avez un peu réconciliée avec ce titre, merci.

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