La Passe-miroir, les fiancés de l’hiver : une maison archiviste

Publié: 9 avril 2017 dans Littérature
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Les amis libraires sont des vigies précieuses qui savent vous guider dans la forêt éditoriale. On les aime pour leurs précieux conseils et leur enthousiasme. Les miens ont une qualité supplémentaire, ils savent me trouver des bons récits où la notion d’archives apparaît. C’est le cas de Claire, à qui je rends hommage ici pour toutes les qualités décrites ci-dessus et pour m’avoir mis entre les mains le livre I de La Passe-Miroir : les fiancés de l’hiver.

Passe-miroirCet ouvrage confirme encore s’il en était besoin la richesse de ce qu’on appelle la littérature jeunesse dans laquelle j’aime à puiser allègrement sans me soucier des barrières que pourrait inclure cette classification. La Passe-Miroir est un récit dû à la plume de Christelle Dabos. Née en 1980, la jeune femme se destinait à être bibliothécaire en Belgique lorsque la maladie survient et l’empêche de réaliser ses projets. Fort heureusement, Christelle trouve un moyen de s’évader : l’écriture. Soutenue par une communauté d’auteurs qu’il convient de promouvoir, Plume d’Argent, Christelle Dabos voit son ouvrage publié chez Gallimard jeunesse en 2013.

La Passe-Miroir raconte l’histoire d’Ophélie, une jeune femme qui vit paisiblement sur l’Arche d’Anima – le monde a éclaté et se divise désormais en arches plus ou moins éloignées les unes des autres. Sur Anima, les gens ont des talents qui ont trait au monde de l’écrit ou des objets. Ophélie est elle-même responsable d’un musée car elle sait « lire » le passé des objets avec ses mains mais elle a aussi un autre talent : celui de traverser les miroirs pour se rendre d’un endroit à l’autre. Insouciante, elle mène une vie tranquille jusqu’à ce qu’on décide de la marier à Thorn, représentant du clan des Dragons, qui vit sur une autre arche : le Pôle, un milieu plutôt hostile. Déracinée, Ophélie va devoir apprendre à vivre au milieu des mensonges et des trahisons d’une cour déliquescente sans bien comprendre pourquoi elle a été choisie pour cette union.

En dehors de toute référence aux archives, je vous invite à lire ce livre fort bien écrit, plein de rebondissements et de suspense qui met en scène un personnage principal attachant et un univers foisonnant riche en personnalités et en événements.

Et les archives dans tout ça ??

Les références aux archives sont très présentes puisque le premier chapitre est tout bonnement intitulé « l’archiviste ». Le premier endroit que le lecteur découvre, ce sont les Archives familiales. Sur Anima, les bâtiments et les objets ont une âme et ont donc des humeurs et des réactions assimilables à celles des humains. Étonnement, le bâtiment des archives est toujours de mauvaise humeur et n’aime pas les usagers qui ne respectent pas les heures d’ouverture. Bon en même temps, s’il y a des horaires, c’est pour qu’on les respecte non – comment ça je suis de mauvaise foi ?

Il semble que, comme son nom d’archives familiales l’indique, le bâtiment renferme avant tout des documents d’état-civil puisqu’on passe devant des rayons hébergeant des registres de naissance, décès et dispense de consanguinité. Les archives conservent aussi des récits d’explorations des autres arches et notamment du Pôle où les ancêtres d’Ophélie sont déjà passés et en donnent une description peu engageante et quelque peu énigmatique.

Les conditions de conservation ne sont toutefois pas idéales puisque l’auteure insiste à plusieurs reprises sur le froid qui règne dans le bâtiment et l’existence de chambres froides. Un peu plus loin, notre petit cœur d’archiviste frémit d’horreur en lisant que les archives ont été déposées « sous la voûte froide des caves »….et c’est le drame quand on réveille son conjoint qui dormait à côté en hurlant de désespoir : JAMAIS D’ARCHIVES DANS LES CAVES HUMIDES !!!!!!!!!!! Tout cela empire encore quand on lit qu’il ne règne pas plus de 10 degrés dans la pièce. Les pièces ont au moins l’air d’être ventilée par des courants d’air, on se console comme on peut.

Par contre, la nécessité de garder les archives à l’abri de la lumière semble respectée : on consulte les documents à la lumière de « veilleuses électriques ». La consultation se fait à l’aide de gants propres.

Il existe également des archives soumises à une communication restreinte puisqu’une des pièces est interdite au public et on apprend qu’il s’agit d’une collection privée dont la lecture est réservée aux archivistes. Malgré tout, Ophélie pénètre dans la pièce interdite où la devise des archivistes est gravée : « Artémis – l’esprit de famille des Animistes – nous sommes les gardiens respectueux de ta mémoire« . Ce lieu est décrit comme fascinant : c’est là que sont conservés les documents les plus importants de l’histoire de l’Arche. Notons encore une fois que la lecture de ces archives n’est pas ouverte à tous ce qui souligne leur caractère sensible. Ces documents sont conservés dans des reliquaires, sous des cloches dont on espère qu’elles laissent circuler un peu d’air là aussi, même si on s’inquiète un peu en lisant : « un registre y tombait en décomposition et son encre avait été pâlie par le temps », tu m’étonnes : des archives confinées dans une cave à 10 degrés, on ne fait pas de miracle ! Et c’est sans compter sur la poussière qui, bien évidemment, saupoudre le tout. Fort heureusement, on apprend avec soulagement que la tante d’Ophélie a le talent de de restaurer les documents et les livres et a sauvé « de la décomposition des archives d’une grande valeur historique ». On l’aura compris, elle ne manque visiblement pas de boulot vu les conditions dans lesquelles ces pauvres archives sont conservées.

On tombe ensuite sur l’archiviste qui est, comme on pouvait s’y attendre un « vieil homme avec des cheveux blancs en bataille » muni de tous les accessoires d’un bon archiviste tel que l’imagerie populaire peut le représenter : loupe, gants blancs et chemise froissée, tout y est…sauf une blouse grise. Son état d’esprit est à l’avenant : « à force de manipuler des archives, le vieil homme vivait complètement dans le passé ». Son langage est désuet, il écoute de la musique sur un phonographe et lit des journaux vieux de cinquante ans. Toutefois, l’archiviste est un peu le sage de la famille et la personne à laquelle Ophélie, l’héroïne vient se confier : vieux mais débonnaire et compétent, ça nous change un peu des rabat-joie habituels, même s’il n’a pas l’air de prendre un grand soin de sa personne. Il appartient, comme Ophélie et sa tante à une famille que nous ne renierons pas : « généalogistes, restaurateurs, conservateurs » au service de la mémoire. Associer les différentes facettes de nos métiers complémentaires est plutôt sympa et de les voir marcher main dans la main devrait nous servir d’exemple.

La présentation des archives dans la Passe-Miroir n’échappe pas à quelques clichés : celui du vieil archiviste hors d’âge et celui qui laisse à penser que les archives doivent être conservées dans les lieux les pires pour elles : les caves froides et humides. Toutefois, les Animistes sont présentés comme des gardiens d’une mémoire commune, tâche à laquelle ils se consacrent avec ferveur et compétence.

Un peuple d’archivistes, de généalogistes et de restaurateurs ? On en rêverait presque si la température était plus douce.

Sonia Dollinger

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  2. […] : La Passe-Miroir de Christelle Dabos, Editions Gallimard Jeunesse, 4 […]

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